QUELLE MARGE DE LIBERTE POUR LES MARQUES GEOGRAPHIQUES ?
1 – DEFINITION : SENS ET CONSEQUENCES :
Une marque géographique est en principe un signe verbal (si l’on excepte les signes figuratifs représentant les contours d’un pays, d’une région, d’une île, etc.). Dans l’ancien article L711-1 du code de la propriété intellectuelle (CPI) de 1992, les noms géographiques étaient cités dans une liste non exhaustive de signes dénominatifs susceptibles de constituer une marque.
Ce signe verbal peut avoir une signification exclusivement géographique (ex : Australie, Naples, Monte-Carlo, etc.) ou être polysémique (Rio, Amazone, Somme, Tours, Nice, etc.).
C’est en raison de significations autres que géographiques qu’ils recèlent que certains noms de lieux ne peuvent constituer des marques valables pour certains produits ou services. Ainsi, faute de caractère distinctif, le nom de notre capitale, PARIS, ne pourrait être enregistré pour des jeux d’argent, et celui de la ville de FOUGÈRES en Bretagne ne le pourrait pour des plantes naturelles ou artificielles.
Parmi les causes de rejet, de nullité ou de déchéance susceptibles d’atteindre les marques en raison, précisément, de leur signification géographique, la majorité s’appliquent, a priori, à tout type de produit ou service.
DU REJET A LA NULLITE
Ainsi, parmi les motifs absolus énumérés au nouvel article L711-2 CPI, le point 3° proscrit une marque composée exclusivement d’éléments ou d’indications pouvant servir à désigner, dans le commerce, la provenance géographique du bien ou de la prestation du service. Ce motif pourra s’appliquer dès lors que le signe géographique désigne un lieu ayant une réputation particulière pour les produits ou les services (par exemple : Roissy ou Orly pour des services aéroportuaires, Rungis pour de la vente en gros de produits alimentaires, etc.).
Le point 4° du même article vise une marque composée exclusivement d’éléments ou d’indications devenus usuels dans le langage courant ou dans les habitudes loyales et constantes du commerce. Cela peut concerner des signes géographiques tels que Dijon pour de la moutarde. En effet, la dénomination « moutarde de Dijon » désigne une recette, un procédé de fabrication défini réglementairement.
DE LA TROMPERIE DU PUBLIC…
Le point 8° de l’article L711-2 précité envisage une marque de nature à tromper le public, notamment sur la provenance géographique du produit ou du service. L’application de ce motif suppose, comme dans le point 3° du même article, une certaine réputation du lieu désigné ou évoqué par le signe en lien avec les produits ou services considérés. Mais si le motif de désignation exclusive de provenance au point 3° est souvent rédhibitoire, celui de tromperie au point 8° ne l’est pas toujours. En effet, si le caractère distinctif du signe s’attache à un ou des éléments autres que celui indiquant la provenance, une limitation pertinente des produits et services pour en préciser l’origine géographique en adéquation avec celle indiquée ou évoquée par le signe pourra permettre dans certains cas d’échapper au rejet de la demande ou à l’annulation de l’enregistrement. Encore faut-il, évidemment, que les produits ou services proviennent effectivement du lieu indiqué. Une marque dont le libellé aurait été limité pour indiquer une fausse provenance des produits ou services serait vulnérable, cinq ans après son enregistrement, à la déchéance pour usage non conforme.
…A LA DECHEANCE DE SON PROPRE FAIT
Par ailleurs, l’article L714-6 CPI dispose qu’encourt la déchéance de ses droits le titulaire d’une marque devenue, de son fait, propre à induire en erreur, notamment sur la provenance géographique du produit ou du service. Un exemple illustrera ce possible écueil. Aoste est une petite commune de l’Isère de 3000 habitants, peu ou pas connue du public en général et, a fortiori, sans réputation particulière pour des produits de charcuterie. La marque AOSTE a été déposée pour la première fois en 1976 par une société éponyme de préparation industrielle de produits à base de viande qui a son siège dans la commune et qui exploite la marque pour du jambon. A la fin des années 80, sont diffusés à la télévision des spots publicitaires vantant le produit sous cette marque, sur une musique de Verdi, accompagnée d’une voix off féminine au fort accent italien prononçant l’accroche « La musique est de Verdi ; le jambon d’Aoste ». Une confusion volontaire était ainsi entretenue dans l’esprit du consommateur entre la marque et la région de la Vallée d’Aoste dans le nord-ouest de l’Italie (environ 128 000 habitants), jouissant d’une certaine notoriété géographique auprès du public français parce que limitrophe de la France et en partie francophone. Ce dernier pouvait légitimement croire que le jambon provenait de cette région d’Italie, bien qu’il ignorât probablement qu’il existe un jambon d’Aoste italien (« Valle d’Aosta Jambon de Bosses ») qui est un produit artisanal disponible en faibles quantités.
2 – UN TERRAIN CHAOTIQUE ET SEME D’EMBUCHES, DUE A UNE MULTITUDE D’ANTERIORITES POTENTIELLES…
Comme tous les déposants de marques, ceux de marques géographiques doivent aussi être attentifs aux droits antérieurs de tiers, mais leur tâche de vérification est plus complexe.
…TENANT NON SEULEMENT AUX DROITS ANTERIEURS « CLASSIQUES »…
Sans surprise, ces droits antérieurs sont les plus nombreux parmi les marques, les dénominations ou raisons sociales, les noms commerciaux, les enseignes et les noms de domaine, tous ces signes pouvant porter sur un nom géographique identique ou similaire, en lien avec des produits, services ou activités identiques ou similaires (ou même non similaires s’agissant des marques de renommée). Tous ces titulaires peuvent déposer des oppositions ou demandes en nullité devant l’INPI.
Au-delà des titulaires traditionnels de tels droits (particuliers et entreprises), de nombreuses villes (Paris, Cannes, Saint-Tropez, Deauville, etc.) ou autres collectivités territoriales (Île-de-France, etc.) déposent leur nom à titre de marque ou le réservent en tant que nom de domaine, soit pour le protéger en lien avec une activité emblématique (festival, hôtellerie de luxe, tourisme, etc.), soit pour une diversité de produits et services, afin de se prémunir contre des dépôts ou usages parasitaires de leur nom, ou valoriser celui-ci au moyen de licences. Les usages révèlent cependant que les communes s’attachent en général à protéger leur nom pris isolément sans chercher à empêcher systématiquement l’enregistrement et utilisation par des tiers de signes distinctifs incluant, entre autres, le nom en question, pour des produits, services ou activités ayant un lien avec le territoire concerné.
…MAIS AUSSI AUX DROITS PLUS PARTICULIERS, RELATIFS A LA PERSONNALITE DU TITULAIRE, A LA NATURE DU SIGNE ET/OU AU TYPE DE PRODUITS CONCERNES
LES NOMS DE COLLECTIVITES TERRITORIALES
Venant en partie à la rescousse des entités territoriales qui n’ont pas déposé ou réservé leur nom en lien avec des spécialités ou activités qui concourent à leur renom, le motif relatif au point 9° du I de l’article L711-3 guette les marques géographiques de tiers qui portent atteinte au nom, à l’image ou à la renommée de collectivités territoriales françaises ou d’établissements publics de coopération intercommunale. Ces entités peuvent en effet, sur ce motif, former opposition à l’enregistrement de telles marques ou en demander la nullité à titre principal devant l’INPI.
Le contrôle exercé par le juge montre qu’un particulier ou une entreprise ne peut déposer ou utiliser le nom d’une collectivité en dehors de toute limite. A différentes reprises, l’utilisation du nom de collectivités, comme marque ou comme nom de domaine, a été sanctionnée, au motif notamment d’un risque de confusion dans l’esprit du public, d’atteinte à des droits antérieurs ou de faits de parasitisme conduisant à capter indûment un trafic Internet. A titre d’exemple, la Cour de cassation a confirmé l’annulation par une cour d’appel d’une marque (Bel’Morteau) qui contenait un nom géographique (Morteau) faisant référence à une commune et au canton du même lieu, situés à plus de cent dix kilomètres du lieu de fabrication des produits sur lesquels la marque était apposée, ce qui était de nature à tromper le public sur leur provenance (Cass. com., 30 novembre 2004, n° 02-13561). Le juge d’appel a admis l’atteinte à des droits antérieurs de collectivités occasionnée par le dépôt d’une marque dans des domaines d’activités où leur dénomination géographique est reconnue (CA Paris, 12 décembre 2007, n° 06/20595 ; CA Paris, 1er février 2006, n° 04/22430).
LES INDICATIONS GEOGRAPHIQUES AU SENS LARGE
Les marques géographiques entrent dans une zone de turbulence lorsqu’elles s’appliquent plus particulièrement à des produits agricoles (notamment vitivinicoles), forestiers, alimentaires ou de la mer, susceptibles d’être concernés par des appellations d’origine (AOC/AOP) ou des indications géographiques protégées (IGP), ou encore à certains produits industriels ou artisanaux qui peuvent être désignés par des indications géographiques enregistrées, dites IGPIA, définies à l’article L721-2 CPI (exemples : Pierre de Bourgogne, Tapisserie d’Aubusson, Porcelaine de Limoges, Siège de Liffol, etc.).
La police de toutes ces « indications géographiques » (IG), au sens large où les entend l’article L722-1 CPI, est assurée en amont par l’INPI, qui peut s’appuyer sur le motif de rejet du point 9° de l’article L711-2 CPI, lorsque la marque est « exclue de l’enregistrement en vertu de la législation nationale, du droit de l’Union européenne ou d’accords internationaux auxquels la France ou l’Union sont parties, qui prévoient la protection des appellations d’origine et des indications géographiques, des mentions traditionnelles pour les vins et des spécialités traditionnelles garanties ».
Si la marque a été enregistrée, toute personne physique ou morale, même non intéressée, peut en demander la nullité sur ce motif devant l’INPI.
Par ailleurs, une marque portant atteinte à une IG (ou à une demande d’IG sous réserve de l’homologation de son cahier des charges et de son enregistrement ultérieur) ne peut être valablement enregistrée ou est susceptible d’être déclarée nulle (point 5° du I de l’article L711-3). L’enregistrement de la marque pourra être refusé ou annulé pour des produits de même type que ceux couverts par l’IG. Sont habilités, à ce titre, à former opposition à une demande de marque ou à demander la nullité de l’enregistrement auprès de l’INPI, non seulement toute personne autorisée à exercer les droits découlant de l’IG concernée et notamment d’en assurer la gestion ou la défense (INAO, syndicat professionnel d’AOP, association, etc.), mais également une collectivité territoriale ou un établissement public de coopération intercommunale dès lors que l’IG comporte leur dénomination.
Dans le cadre des actions en contrefaçon d’IG, les tribunaux peuvent appréhender plus largement les produits et services employés sous les marques. Ainsi, pourra être condamnée toute utilisation commerciale directe ou indirecte de l’IG à l’égard des produits non couverts par l’enregistrement de l’IG, lorsque ces produits sont comparables à ceux enregistrés sous cette dénomination ou lorsque cette utilisation permet de profiter de la réputation de la dénomination protégée (article L721-8 CPI).
LES DENOMINATIONS VARIETALES
Enfin, le déposant d’une marque géographique ou le propriétaire d’une telle marque enregistrée, désignant des plantes vivantes, des semences agricoles, des fruits frais ou des légumes frais, doit s’assurer que sa marque ne consiste pas en une dénomination variétale antérieure enregistrée contenant le même nom géographique, ou ne la reproduit pas dans ses éléments essentiels, lorsque les produits désignés par la marque sont des variétés végétales de la même espèce que celle ainsi dénommée, ou d’une espèce étroitement liée (point 10° de l’article L711-2 CPI). Autrement, l’INPI peut émettre une objection de caractère absolu et proposer, le cas échéant, une limitation des produits propre à la surmonter, par exclusion expresse des espèces variétales concernées. Une demande en nullité est également ouverte à toute personne devant l’INPI si la marque enregistrée contrevient à cette disposition.
CONCLUSION
Au bilan, la liberté des titulaires de marques géographiques apparaît plus restreinte et surveillée que celle des titulaires de marques verbales relevant d’autres catégories. Le droit de l’Union européenne est comparable mais la législation française va plus loin dans la protection des indications géographiques et des noms de collectivités territoriales.
Nous sommes à votre disposition pour vérifier la disponibilité de vos signes, notamment géographiques, et en assurer la protection et la défense.
Michel George est Conseil en Propriété Industrielle et Conseil Européen en Marques, Dessins et Modèles. Il a 35 ans d’expérience en cabinets de conseils et exerce au cabinet Santarelli depuis 2003. Il assiste une clientèle très variée, tant en France qu’à l’étranger, principalement dans le domaine des marques et des modèles.