N’est pas Auteur d’une Œuvre protégée qui veut… ou quand l’absence d’Originalité vous rattrape
Nous sommes tous un peu photographes, dessinateurs (enfin, certains résultats tiennent peut-être un peu plus de la barbouille que du dessin…). Pour autant, si nous sommes à l’origine de représentations picturales, celles-ci ne constituent pas toutes de facto des œuvres protégeables par le droit d’Auteur. Et, être professionnel, un bon technicien, ou mettre en valeur son sujet ne sont d’ailleurs pas les critères déterminants en l’espèce.
Plusieurs décisions récentes rappellent à juste titre que toute création, ou présentée comme telle, n’est pas nécessairement originale.
En effet, l’originalité constitue la condition sine qua non de la protection par le droit d’auteur. Cette notion séculaire surfe entre l’empreinte de la personnalité de son auteur, la liberté de celui-ci et l’expression de son imagination par ses choix, son regard et son interprétation.
La jurisprudence est plutôt sévère et exige un assez haut degré de preuves, pour être apte à revendiquer le Graal de l’Originalité.
1/ DES CHOIX LIBRES ET CREATIFS
La première décision, datée du 30 mars 2021, concerne une photographie représentant des emballages de bouteilles de cognac[1]. La Cour écarte l’originalité, et par conséquent la protection au titre du droit d’auteur, en retenant notamment que les photographies ne traduisaient « aucun choix créatif ». Les magistrats soulignent notamment que le travail « technique » que le photographe avait déployé, à savoir « le travail sur le cadrage, sur l’éclairage, la prise de vue et le travail de retouche » ne permettent pas de caractériser « un travail créatif original ». En d’autres termes, dès lors qu’il s’agit de saisir un objet de façon objective, sans mise en scène ou choix arbitraires, cette simple capture d’une image ne permet pas de bénéficier du monopole conféré par le droit d’auteur.
La même Cour d’appel de Versailles avait rendu quelques semaines plus tôt un arrêt relatif à une photographie du violoniste Yehudi Mehudin[2], reconnaissant l’originalité en rappelant que : « une photographie est originale lorsqu’elle résulte de choix libres et créatifs de son auteur témoignant de l’empreinte de la personnalité de son auteur. Ces choix peuvent être opérés avant la réalisation de la photographie, par le choix de la mise en scène, de la pose ou de l’éclairage, au moment de la prise, par le choix du cadrage, de l’angle de prise de vue, de l’atmosphère créée, ou au moment du développement (…) ».
On remarquera que les Juges s’attachent particulièrement à la liberté du photographe : dès lors que celui-ci est contraint par des directives extérieures, l’originalité risque de faire défaut. En l’espèce, au contraire, il n’y a eu « aucune directive ou indication précise » et le photographe était « libre de ses choix », si bien que le photographe a réalisé « des choix personnels et libres caractérisant une création artistique ». Or la liberté de l’artiste, si elle reste un indice, ne semble pas essentielle pour aboutir à caractériser une originalité mais concernerait plutôt la qualité d’auteur (ou de coauteurs). Une collaboration notamment restreint la liberté sans pour autant exclure l’originalité.
Quoi qu’il en soit, ces deux décisions illustrent nettement le rôle nécessaire et suffisant de l’originalité dans la protection par le droit d’auteur : il reste essentiel de caractériser en quoi les œuvres, notamment des photographies, sont le résultat de choix pouvant résulter d’un parti-pris esthétique.
2/ UN PARTI PRIS ESTHETIQUE, CONFERANT UNE PHYSIONOMIE PROPRE
La seconde décision refusant la protection du droit d’auteur concerne des motifs de pastèque
, sur lesquels la société Monoprix revendiquait un droit d’auteur. La cour d’appel de Paris rejette ces prétentions le 23 mars dernier[3], en retenant notamment que la combinaison revendiquée (quartier triangulaire, pointe vers le bas, pépins répartis uniformément, forme « coup de pinceau » de l’écorce), confère à l’ensemble « une impression de dynamisme, et une apparence estivale de douceur enfantine et stylisée, le distinguant de la simple représentation figurative d’une pastèque ».
Toutefois les juges n’admettent pas l’originalité du dessin concerné, en retenant essentiellement que la représentation de pastèque revendiquée ne porterait pas l’empreinte de la personnalité de l’auteur.
Il s’agit par ailleurs de la combinaison d’éléments banals, cette combinaison ne possédant pas « une physionomie propre la distinguant de celles appartenant au même genre et traduisant un parti pris esthétique du créateur ». L’originalité peut en effet résulter de la reprise d’éléments banals et préexistants, dès lors que l’ensemble ainsi créé peut lui-même être reconnu comme original – ce qui ne semblait toutefois pas être le cas en l’espèce.
La demande sur la concurrence déloyale est de la même façon écartée[4], les Juges citant ici encore l’originalité parmi les éléments à prendre en compte.
Et si l’on reprend l’introduction de cette brève, notre barbouille rapide d’une pastèque aurait peut-être eu plus de succès auprès des magistrats qu’une représentation trop parfaite et fidèle de ladite cucurbitacée.
Pour autant, cette décision n’est pas, selon nous, exempte de toutes critiques.
Il aurait été intéressant de connaitre la décision des Juges en cas de dépôt de modèle effectué par Monoprix – l’appréciation des critères d’acquisition du droit (nouveauté, caractère propre) et de protection (impression d’ensemble produite sur un observateur averti) étant différentes de celles du droit d’auteur.
En définitive, l’originalité reste tout à fait centrale en matière de protection par le droit d’auteur. La caractériser et en apporter la preuve sont donc des enjeux fondamentaux dans la protection des créations. Cette problématique a été d’ailleurs récemment examinée par un rapport du Conseil Supérieur de la Propriété Littéraire et Artistique[5].
Le choix des modes de protection, l’opportunité d’une action restent des décisions importantes qui doivent être soigneusement examinées afin de protéger au mieux les intérêts des titulaires de droits.
Fabrice Pigeaux est Conseil en Propriété Industrielle depuis plus de 10 ans et a rejoint Santarelli en 2016. Il assiste une Clientèle très variée, tant en France qu’à l’étranger, essentiellement sur des problématiques de marques et de noms de domaine et a été nommé Associé Marques, Dessins et Modèles en 2021.
[1] Versailles, 1ère Chambre, 1ère Section, 30 mars 2021, n°19/00672.
[2] Versailles, 1ère chambre, 9 février 2021, n° 19/01
[3] Paris, 23 mars 2021, n°19-17.274
[4] L’arrêt retenant classiquement qu’il n’est pas caractérisé de « manœuvres déloyales constitutives d’une faute », permettant de sanctionner la commercialisation de produits identiques ou similaires qui n’est pas, à elle seule, fautive. Il convient de tenir compte du « caractère plus ou moins servile, systématique ou répétitif de la reproduction ou de l’imitation, l’ancienneté d’usage, l’originalité et la notoriété de la prestation copiée ».
[5] Rapport intitulé « La preuve de l’originalité » : https://www.culture.gouv.fr/Sites-thematiques/Propriete-litteraire-et-artistique/Conseil-superieur-de-la-propriete-litteraire-et-artistique/Travaux/Missions/Mission-du-CSPLA-sur-la-preuve-de-l-originalite