Bonne nouvelle ? L’INPI peut désormais prononcer la nullité et la déchéance de marques enregistrées
La réforme du droit des marques produit désormais l’un de ses effets les plus visibles en France – et le qualificatif de révolution n’est pas exagéré.
Depuis le 1er avril 2020, les actions en nullité et en déchéance de marques françaises doivent être engagées, à titre principal, devant l’INPI et non plus devant les Tribunaux. La pratique nationale s’aligne ainsi sur le système régissant les marques de l’UE.
La relative « sanctuarisation » des marques enregistrées, qui ne pouvaient jusqu’à présent être invalidées que par un tribunal de l’ordre judiciaire au terme d’une procédure longue, nécessitant la constitution d’un avocat, onéreuse et donc souvent dissuasive, est donc terminée. Cette réforme va radicalement modifier l’approche de nombreux dossiers – qu’il s’agisse de défendre sa marque ou bien de s’attaquer à celle d’un tiers.
1/ Devant l’INPI, ce sont ainsi tous les motifs pouvant aboutir à invalider une marque enregistrée qui pourront être invoqués :
- motifs absolus: défaut de caractère distinctif, caractère descriptif, déceptif, marque trompeuse, contraire à l’ordre public etc… étant rappelé que le « dépôt de mauvaise foi» fait son apparition dans la liste et ouvrira sans doute la voie à des débats très intéressants,
- motifs relatifs : atteinte à des droits antérieurs (dont la liste prévue par le Code s’est substantiellement élargie avec la réforme introduite depuis l’ordonnance du 13 novembre 2019), à quelques exceptions notables, notamment les droits d’auteurs et les droits des dessins et modèles,
- déchéance de la marque: absence d’usage sérieux, marque devenue générique ou déceptive etc..
Cette nouvelle procédure, selon nous, présente plusieurs avantages par rapport à la voie judiciaire :
- en ligne, avec toutefois la possibilité de présenter après la phase écrite contradictoire des observations orales,
- elle est enfermée dans un délai court (un mois pour être notifiée à la défenderesse à partir de l’inscription de la demande au RNM, puis maximum de 6 mois à compter du dépôt pour les échanges entre les parties, puis 3 mois pour que l’INPI rende une décision, tandis que les suspensions sur demande conjointe des Parties sont possibles mais également encadrées),
- et potentiellement moins onéreuse (la taxe est de 600 € et 150 € par droit supplémentaire invoqué).
Il est par ailleurs à noter que l’action portée devant l’INPI pourra l’être par « toute personne physique ou morale », alors qu’elle doit l’être par « toute personne intéressée » devant les Tribunaux – permettant d’engager l’action par exemple via son Mandataire pour préserver une certaine confidentialité.
Enfin puisque la preuve d’un intérêt à agir ne sera pas demandée devant l’INPI, il sera « facile » de demander la nullité de l’intégralité des marques en question et non plus des seuls produits/services pour lesquels l’intérêt à agir, requis devant un tribunal, devait être prouvé.
2/ Ceci étant, ces nouvelles procédures vont probablement engendrer une période d’incertitudes et de nouvelles difficultés.
Pour les titulaires de droits, la loi Pacte a récemment profondément modifié le droit des marques et la multiplicité des droits pouvant être invoqués pour antérioriser une marque – qui dépasse maintenant la seule liste des produits et services couverts par une marque déposée à une date connue de façon certaine – va complexifier les procédures.
Les parties devront également faire attention aux questions d’usage de leurs droits, notamment en raison de la nouvelle règle dite du « double usage », qui impose désormais de prouver l’usage au moment de l’action mais également au moment du dépôt de la marque attaquée. Les preuves d’usage en deviennent doublement cruciales, avec un effort accru sur la nature, la qualité, la constitution et la conservation de ces éléments…
Ces questions sont également un défi pour l’INPI, qui devra gérer des questions nouvelles et des procédures inédites, dans un calendrier de procédure court. Même si l’Institut a eu le temps de préparer ses agents et de les former pour faire face à ces questions, il semble inévitable qu’un certain nombre de procédures initiées devant l’INPI ne trouvent, au moins dans un premier temps, un dénouement que devant la cour d’appel.
3/ Malgré ces incertitudes, ces nouvelles procédures constituent une puissante incitation pour ceux souhaitant libérer l’environnement de leur marque, voire utiliser un levier plus facile dans le cadre de négociations, le coût et la longueur des procédures n’étant plus un frein (a priori). Les actions vont donc certainement se multiplier.
Pour les titulaires de marques, leur politique de gestion de leurs droits va être également très impactée, puisqu’il s’agira notamment d’élaborer de nouvelles stratégies au moment des recherches d’antériorités (la neutralisation des droits des tiers étant a priori techniquement facilitée, on pourra plus facilement envisager des actions offensives), de déposer leurs signes encore plus en adéquation avec la forme exacte et l’étendue de leurs projets d’usage.
Nous n’en sommes pas encore à devoir prouver régulièrement l’usage par des affidavits, à l’instar de certains pays, afin de maintenir en vigueur nos droits, mais cette évolution nécessaire montre clairement la volonté du législateur de désencombrer les registres des marques et de redonner à la marque sa vraie fonction : être utilisée dans le commerce et constituer une indication d’origine.
Par ailleurs, il sera nécessaire d’inscrire de façon encore plus rapide les cessions et changements d’adresse afin que les notifications d’action atteignent le propriétaire de la marque attaquée (certains ayant jusqu’à présent eu la tentation de reporter ce type de procédures, notamment pour les changements d’adresse, au moment des renouvellements).
Ces nouvelles procédures administratives modifient très sensiblement l’approche globale des questions de marques et nécessite plus que jamais une approche juridique précise, rigoureuse et essentiellement pragmatique, ce qui relève de notre cœur de métier. Nous sommes plus que jamais à votre écoute et à votre disposition pour vous accompagner dans cette nouvelle évolution du droit français, sachant que notre longue expérience internationale nous permet déjà d’avoir une meilleure approche de ce qui est en train de se mettre en place en France. Entre temps, restez à la maison et prenez soin de vous !.
Fabrice Pigeaux est Conseil en Propriété Industrielle depuis plus de 10 ans et a rejoint Santarelli en 2016. Il assiste une Clientèle très variée, tant en France qu’à l’étranger, essentiellement sur des problématiques de marques et de noms de domaine.